Par Marc Exavier
Pour entamer cette chronique, il me plaît de partager avec vous un extrait un peu long mais extrêmement intéressant du récit autobiographique du populaire romancier français Christian Signol (1947-),Trésors d’enfance publié en 1994.
” Ce que je préférais, par dessus tout, c’était la poésie et la récitation. La musique des mots m’enchantait.
Ma classe possédait une petite bibliothèque – oh! bien peu fournie: trois étagères seulement dans un meuble simple posé sur une table. Mais dans cette bibliothèque figuraient tous les livres du grand Victor Hugo : Les Voix intérieures, Les Contemplations,Les Rayons et les ombres, Les Chants du crépuscule,etc. C’est pour cette raison que j’ai lu, je crois bien, toute la poésie de ce géant à l’âge de onze ans. On imagine les répercussions d’une telle lecture dans l’esprit d’un enfant.
Jamais les minutes ne m’ont paru si épaisses, si graves que durant cette heure magique où, mes devoirs expédiés, je lisais Victor Hugo et tentais moi aussi d’écrire des vers. Nous étions peu nombreux dans cette étude paisible : une dizaine seulement. Elle était comme un ilôt protégé des tempêtes et c’est elle, j’en suis persuadé qui a fait de moi ce que je suis. Il a suffi pour cela de trois étagères de livres auxquelles on me donnait libre accès.”
Dans une précédente chronique, j’ai parlé de ces bibliothèques de classe qui furent introduites dans les écoles françaises vers les années 1860. Elles ont subsisté jusqu’aux années 1960-1970, remplacées par les CDI ( Centres de documentation et d’information) pour les écoles secondaires ( Collège et Lycée) et les BCD (Bibliothèque Centre Documentaire) dans les écoles primaires. Cependant, malgré l’existence de ces bibliothèques scolaires centrales, on continue d’aménager dans les classes des coins – lecture, dont le contenu est continuellement renouvelé à partir de la bibliothèque, afin que des livres adéquatement choisis soient à tout moment disponibles et accessibles pour les élèves.
En Haïti, selon des données datant de 2014, seulement 15% des écoles déclarent avoir une bibliothèque. Et beaucoup de ces bibliothèques sont exiguës et indigentes. Certaines se résument à une armoire dans le bureau du directeur, située derrière son dos. Mais, pour moi, ce n’est pas ça le pire.
Si vous regardez de près le contenu de certaines bibliothèques scolaires en Haïti, elles sont bourrées d’ouvrages qui n’intéressent guère les élèves. Ces livres, fort souvent, proviennent de dons aveugle ou d’achats à bon marché. Car certains directeurs d’école considèrent la bibliothèque comme un accessoire décoratif ou un simple argument publicitaire et méconnaissent son apport fondamental dans l’acquisition des connaissances et, surtout, l’entraînement à la lecture.
Les livres formant le fonds documentaire d’une bibliothèque scolaire ne doivent pas être assemblés au petit bonheur. Il faut les choisir minutieusement en fonction des niveaux et des centres d’intérêt des élèves concernés,et aussi par rapport à la culture qu’on désire leur transmettre.
En Afrique, et c’est pareil en Haïti, on a remarqué que de nombreux livres dorment longuement et profondément dans les bibliothèques scolaires, puisqu’ils n’attirent personne. Le chercheur camerounais Christian Élongué , auteur du livre “Introduction à la littérature jeunesse au Cameroun” (L’Harmattan, 2019) dresse le constat suivant :
” La motivation est un élément déterminant pour la réussite de l’enfant qui apprend à lire et les lecteurs sont plus enclins à s’intéresser aux textes qui reflètent leurs expériences personnelles.
La lecture peut sembler une activité de peu d’intérêt pour des jeunes africains qui ont rarement l’opportunité de s’identifier aux personnages. Il est possible de voir en eux un désengagement pour toutes activités associées à la littérature s’ils ne parviennent jamais à se reconnaître dans les textes.
Ces derniers devraient normalement leur ressenbler et présenter des histoires reflétant leurs cultures et leurs expériences personnelles. S’ils constatent que la lecture joue un rôle dans leur propre vie, cela soutiendra leur motivation et intérêt pour le livre.”
Partant du témoignage de Christian Signol et du constat de Christian Élongué, j’adresserai aux Directeurs d’école deux recommandations :
1- Il est indispensable de mettre des livres à la disposition des élèves, même si ces livres ne sont pas très nombreux…
2- Dans ce fonds documentaire, il faut accorder une place importante aux livres du terroir…
Et ,au ministère de l’Éducation nationale, je réitère mes conseils habituels:
Bati lekòl toupatou,
Mete liv nan lekòl yo.