Chronique “Des écoles et des livres” : Que vaut l’école sans la littérature ?

par Bombarde Info
9 Vues

Par Marc Exavier

Lors d’une récente tournée que j’ai effectuée récemment dans quelques villes du département du Nord-Est, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs dizaines d’élèves du Secondaire, appartenant à quelques uns des établissements scolaires les plus réputés de ces contrées. La plupart de ces élèves sont en S4. Au fil de nos échanges, j’ai appris qu’aucun d’entre eux ne connaissait le nom de l’auteur de Compère Général Soleil. Ce qui signifie que durant toutes leurs années de scolarité ils n’avaient jamais eu la chance d’entendre un professeur parler de Jacques Stephen Alexis. Je me souviens qu’en 2021, pendant qu’on s’apprêtait à célébrer, à C3EDITIONS, le centenaire de la naissance de Jacques Stephen Alexis, une étudiante en psychopédagogie de l’Université Publique du Nord au Cap-Haïtien m’a avoué qu’elle n’a jamais entendu parler de cet auteur. Sans vouloir trop vite généraliser, il est à craindre que la plupart de nos écoliers, partout à travers le pays, ignorent les œuvres de nos plus grands écrivains. La cause, selon certains, c’est que depuis l’instauration du Nouveau Secondaire on n’enseigne plus les littératures haïtienne et française comme on le faisait autrefois et que seulement quelques notions de “culture littéraire” sont offertes aux élèves de S1 à S3. Cependant, déjà vers 1994, quand je fus nommé Professeur au Département des Lettres Modernes de l’École Normale Supérieure de Port-au-Prince, j’ai pu constater que beaucoup de mes étudiants avaient lu très peu de textes littéraires durant leurs études classiques,leur culture littéraire, pour la plupart, était considérablement restreinte, à tel point que j’ai jugé nécessaire d’instituer en année préparatoire un Atelier de lecture afin de pousser les étudiants à lire certaines œuvres incontournables. Une trentaine d’années plus tard, je me demande : quelle place occupe la littérature dans l’univers de nos écoliers ? Quelles oeuvres lisent -ils? Quels auteurs leur servent de références ? Dans un texte théorique intitulé ” J’ abats mon jeu”, publié en 1959, le célèbre poète et romancier français Louis Aragon (1897-1982) écrit :” La littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est,au bout du compte, son visage.” Je me souviens que, lorsque j’étais écolier, on considérait la littérature comme une futilité. Quand quelqu’un disait des choses sans importance , on disait qu’il fait de la littérature.

Dans nos écoles, on n’a jamais assez mis en lumière la dimension formatrice de la littérature. On se contentait de raconter la vie des écrivains, de dicter les résumés de certaines œuvres et d’en donner quelques brèves citations. Certains élèves, dans certaines écoles, avaient la chance de lire et d’analyser quelques poèmes. Mais, dans la majorité des cas, les textes littéraires n’étaient pas présents dans les classes. Pour réussir aux examens, on comptait sur les notes de physique, de chimie, de biologie ou de mathématiques. La littérature a toujours été mal cotée dans notre système scolaire Pourtant, dans sa Leçon inaugurale à la chaire de sémiologie littéraire au Collège de France, en 1977, le critique et théoricien de la littérature Roland Barthes (1913-1980) tient ces propos :”La littérature prend en charge beaucoup de savoirs pluriels. Dans un roman comme Robinson Crusoé, il y a par exemple un savoir historique, géographique, social, colonial, technique, botanique, anthropologique, puisque Robinson passe de la nature à la culture. Et si, par je ne sais quel excès de socialisme ou de barbarie, toutes nos disciplines devraient être expulsées de l’enseignement, sauf une, c’est la discipline littéraire qui devrait être sauvée car toutes les sciences sont présentes dans le monument littéraire. C’est en cela que l’on peut dire que la littérature, quelles que soient les écoles dont elle se réclame, est absolument, catégoriquement réaliste. Elle est la réalité, c’est à dire la lueur même du réel. Cependant,en ça véritablement encyclopédique, la littérature fait tourner les savoirs (…).

Elle permet de désigner des savoirs possibles, insoupçonnés, inaccomplis. La littérature travaille dans les interstices de la science. La science est grossière, la vie est subtile et c’est pour corriger cette distance que la littérature nous importe.” La littérature travaille avec et sur le langage, l’une des facultés les plus importantes de l’espèce humaine. À travers le langage sont communiqués les connaissances, les idées, les sentiments et les rêves de l’homme. La maîtrise du langage est l’un des apprentissages fondamentaux de l’être humain à l’école et en dehors. À travers la littérature, orale ou écrite, se transmettent dès le plus jeune âge l’essentiel des expériences, de la culture d’un peuple.

Dès l’enfance, la littérature accompagne l’individu dans sa quête d’humanité. L’école et les livres contribuent à construire notre humanité, notre identité. C’est pourquoi leur présence est si importante.Bati lekòl toupatou.Mete liv nan lekòl yo.

Quitter un commentaire

* En utilisant ce formulaire, vous acceptez le stockage et le traitement de vos données par ce site Web.

Vous pourriez aussi aimer